L’occasion de voir les célèbres chapeaux pointus rouges de Gravity Falls ne s’était pas encore présentée, malgré ses balades en forêt. Il n’était certes pas beaucoup sorti depuis plusieurs semaines. Les Nisser danois, sûrement les cousins des elfes –de maison, pas les grandes asperges blondes androgynes s’il vous plaît– avait des goûts vestimentaires similaires aux petits bonshommes barbus, du moins selon les légendes, mais il n’en avait jamais vu de sa vie. Probablement parce qu’il ne vivait pas parmi les humains et par extension inintéressant pour eux. Certains contes leur donnait la capacité de se rendre invisible, ce qui rendait la tâche plus ardue encore pour les trouver.

Le changelin ne sut pas discerner la réalité de la farce lorsque le brun lui confia qu’il savait où ils se trouvaient. Il s’adressait à un humain après tout. Même pour un trentenaire seulement, l’intérêt pour les fées et les lutins n’était probablement pas bien vu. Ce n’était pas de sa faute s’il les trouvait curieux.

Enfin, Anoki semblait être assez ouvert sur ce genre de choses, intéressé même, alors il pouvait être plus honnête avec lui. Même si passer pour un enfant auprès de son employeur n’était pas la meilleure des idées. Il termina de mâcher le petit four à s’en damner qu’il avait en bouche avant de répondre avec une mine tranquille.

I wouldn’t mind.

Voilà que le blond avait repris son expression plus adulte et indéchiffrable. Il n’y avait bien que deux personnes qui arrivaient à lire entre les lignes lorsqu’il l’adoptait. Une seule, maintenant. Agathe devait se vanter d’être la seule restante, eh. Il était content de voir qu’ils étaient restés en contact depuis son déménagement. Ils veillaient tous deux à répondre régulièrement aux nouvelles de l’autre et Faith espérait que cela resterait ainsi. Il n’avait rien reçu concernant la peluche de la fête foraine mais Agathe n’avait pas cessé d’envoyer des messages, à son grand soulagement.

Son interlocuteur n’était donc pas uniquement d’origine shoshone, mais de l’union d’une autochtone et d’un… Colon ? Ce n’était pas le bon terme pour l’époque. Mais dire américain n’était pas non plus correct d’après lui.

Il y a donc une réserve près d’ici ? Je n’en savais rien. Ah, mais je suis peu renseigné à ce sujet ! Il faudra que tu m’en dises plus !...Tu es toujours en contact avec eux ?

Faith n’avait pas eut à vivre dans deux mondes complètement différent. Il avait été coupé des avancées soudaines humaines pendant toute son enfance jusqu’à son insertion dans une grande ville. A partir de là, il avait décidé de rester informé et au contact des nouvelles technologies après son retour dans son village natal. Ses parents avaient eu du mal à ingérer la pilule, eux qui étaient resté à la lampe à huile et le four à bois. Urgh, ses parents. Avec l’aide de sa sœur, il avait réussi à rééduquer la petite famille pour qu’ils n’aient plus à travailler comme des bœufs uniquement pour laver le linge ou exécuter de simples tâches ménagères.

• • •

Anoki dégageait une aura étrange qui piquait sa curiosité depuis un moment. Il avait l’air d’en savoir plus que ce qu’il ne laissait paraître, et ses propos ne faisaient que renforcer cette idée. L’amérindien n’était-il vraiment que le simple étudiant, patron de casino et grand frère qu’il prétendait être, ou bien cachait-il d’autres mystères derrière cette façade ?

Je n’en doute pas, elle m’a déjà surpris en bien des points…

Découvrir les secrets de la ville, plus tôt qu’il ne le pensait… Well, il avait déjà entendu parler de gnomes et d’autres créatures, avait fait la connaissance d’un vampire –qui s’était avéré être une jeune fille très effrayante lorsqu’en colère– et avait ensuite été enfermé contre son gré dans une autre dimension. Il avait aussi rencontré une jackalope adorable avec qui il tentait à présent de sauvé un pauvre enfant prisonnier d’une source inconnue…. C’était déjà bien.Il lui était arrivé plus de mésaventures en quelques semaines qu’en plusieurs années loin du petit village de ses parents.
Quelque chose lui disait que c’était loin d’en être fini. Cette ville était un aimant. Et elle n’avait pas manqué de l’attirer lui-aussi, n’est-ce pas ? Il sirota le reste de son verre avec un air songeur.

La mention de sa famille et de son pays natal restaura sa mine joviale. Il avait le mal du pays parfois, c’était certain. Comment ne pas l’avoir quand il avait vécu là-bas toute sa vie ! D’un autre côté, c’était le cadet de ses soucis. Son déménagement apportait un nouveau souffle de fraicheur et de nouveauté sur sa vie.

La température hivernale ne lui manquait pas en tous cas.

Le petit blond hocha la tête en reposant son verre vide.

J’ai emménagé en octobre ! La maison me manque parfois c’est vrai, mais j’ai fait le choix de bouger. J’avais besoin de changer d’air, à force. Et je ne regrette pas cette décision ! Après tout, j’ai fait la rencontre de gens adorables et extraordinaires et je ne me dépatouille pas trop mal pour l’instant. Quant aux paysages… Voyons voir.

Il ferma ses yeux un instant. Faith n’avait pas vécu en ville bien longtemps et avait grandi entre les forêts d’hêtres et de séquoias verdoyantes. Les souvenirs de sa vie passée défilèrent s sous ses paupières à une vitesse folle. Gaies comme maussades. Lorsqu’il les rouvrit, une seconde s’était écoulée.  

Ça doit être vraiment magnifique.

Il examina son interlocuteur un moment. Ce dernier semblait lui aussi plongé dans ses pensées. L’alcool faisait déjà son œuvre sur les joues de l’indien, au grand amusement du blond. C’était lui qui avait suggéré de profiter de l’Happy Hour pourtant, et Faith comptait bien le prendre au mot.

Je me rappelle avoir exploré les pinèdes enneigées lorsque j’étais encore petit. J’avais une faible constitution à l’époque alors je ne sortais pas tant que ça. Mon père a toujours tenu à vivre éloigné de tout alors notre maison se situait loin des grandes villes, en pleine nature. Les forêts danoises n’ont rien à envier à celles américaines, même si je dois avouer que celle de Gravity Falls est magnifique.

Et magique. Bien que ce côté-là de la forêt demeurait encore majoritairement inconnu du norrois.

Mais revenons sur les réserves amérindiennes ! Elles ne sont pas gérées directement par l’État, à mon souvenir ?

Nouvelle découverte : l'alcool ne devait pas être le fort de son patron. À ce qu'il pouvait voir -et rares étaient les détails qui échappaient au regard du blond lorsqu'il se concentrait suffisament-, il avait déjà du mal à en finir avec sa première coupe. D'un côté, il n'avait pas la moindre idée de ce qu'ils mettaient dans leurs cocktails, exactement... Ce n'était pas pour rien qu'il avait commencé avec une simple bière.
De plus, ce n'était pas son genre de dévaloriser quiconque, surtout pour un manque de résistance à l'alcool. Chacun ses petites faiblesses et il en avait beaucoup trop pour lancer la première pierre.

Il garda donc sa langue dans sa poche, sûr que même en voulant rassurer l'amérindien il ne ferait que souligner un défaut et le mettrait dans l'embarras. Ce n'était pas à lui de décider s'il voulait en discuter ou non.

Dans sa famille, c'était lui qui finissait toujours sous la table en premier. Sa mère avait une sacrée descente contrairement à lui, et Agathe en avait hérité. Elle ne cessait de répéter que l'élève dépasserait le maître et c'était sans doute déjà fait. Il n'aimait pas boire aux côtés de ces deux là... Alors c'était plutôt une bénédiction d'avoir un petit buveur avec lui pour une fois...

Mais pour en revenir aux réserves amérindiennes. Elles étaient donc géré par un système indépendant à l'Etat. C'était... impressionnant de voir ce genre de communautés fonctionner ainsi. S'il avait l'occasion de le faire, rendre une visite aux membres du serpent ne le dérangerait pas du tout. Il faudrait qu'Anoki accepte de "l'introduire" afin qu'il ne paraisse pas impoli à débarquer chez eux sur un coup de tête.
Le blondinet écoutait attentivement les propos du brun, hochant parfois la tête pour assurer à son interlocuteur qu'il suivait bel et bien toujours. Faith, refuser des connaissances supplémentaires ? Il n'avait pas assez eu de verres pour cela.

Et il ne comptait pas en avoir trop. Il avait tendance à devenir collant lorsqu'il était ivre, et il piquerait vite du nez s'il abusait de la générosité de son employeur et de l'alcool.

S'il avait le temps, quelques recherches supplémentaires s'imposeraient.
Derrière le regard légèrement voilé par les effets de sa tequila, Anoki avait cette lueur nostalgique dans les yeux. Était-ce du regret qu'il décelait chez le plus grand ? Cela lui rappelait ses débuts d'étudiant, lorsqu'il était passé des sentiers battus aux rues bétonnées, des chaumières paisibles aux immeubles immaculés, des forêts à la ville. La corneille perdue était passé par plusieurs phases. Égarement, regrets, acceptance, émerveillement et cela recommençait au début. Ça avait été un cercle sans fin jusqu'à ce que la coupe soit pleine pour le polymorphe et qu'il prenne ses cliques et ses claques pour revenir dans son véritable chez-lui.

Il y avait des oisillons qui sortaient avec aisance du nid et d'autres pas. Ils étaient tout deux dans le même bateau pour le coup.
Faith lui offrit un sourire d'encouragement et tapota la main d'Anoki. La différence de taille l'interpellait mais il choisit de l'ignorer. Les danois étaient réputés pour avoir des tailles de géants - sa propre soeur était là pour démontrer ses propos- alors qu'est ce qui avait mal tourné lors de sa conception ? Mystère. Il n'était quand même pas un changelin nain sans le savoir, hein ? C-c'était impossible, pas vrai ! Sa mère lui avait certifié qu'il était normal pourtant. Les injustices de la génétique.

Rencontrer la chamane en personne serait un honneur.

Chamane. Les chamanes étaient l'une des figures de proue des tribus après tout. Même s'ils ne faisaient pas directement les décisions politiques et n'avaient pas le titre suprême de che, ils occupaient tout de même une place importante au sein de leur communauté. Aux attributions diverses et variées, ils étaient des sages polyvalents qui amassait, conservait puis transmettait toute l'histoire d'une tribu entière.

Dans la mythologie scandinave, Odin lui-même était associé au shamanisme. Et s'il ne connaissait pas sur le bout des doigts la culture amérindienne, ce n'était pas le cas de celle nordique. Il était donc déjà familier avec certains points sur le chamanisme, comme les sámi par exemple.

Si Anoki était le petit fils d'une personne aussi importante, il était normal qu'il soit si attaché à ses racines.
La transmission orale du savoir était le meilleur moyen de passer du temps en famille pour le blondinet.
Passer quelques temps avec cette "vieille carne" -et il ne faisait que citer-, lui serait bénéfique.

Hop, un vol-au-vent supplémentaire. Afin de ne pas trop abuser des petits fours, le danois pris son temps pour le grignoter et mis un terme à l'existence de sa proie, attentivement, sans laisser une miette sur ses doigts.


Son compagnon interpella une serveuse de nouveau et il en profita lui aussi pour se pencher une fois de plus sur la carte. Autant se lancer à l'eau à présent.
Une fois que le brun eut passé commande - Faith ne put s'empêcher de hausser un sourcil, fort amusé-, ce fut son tour.

Un jungle juice pour moi...Oh, et est ce que l'on pourrait avoir d'autres feuilletés s'il vous plaît ? Merci !

La serveuse s'éloigna et les deux hommes reprirent la conversation. Il avait remarqué mais était agréablement surpris que l'amérindien l'avoue.


Ne t'en fait pas pour cela, je ne pense pas que les gens te mesureront sur ta capacité à tenir l'alcool. Je ne suis pas aussi résistant que ça non plus mais c'est vrai qu'un grog aide à tenir chaud lorsqu'on a envie de plus qu'un thé.

Un clin d'oeil et il ajouta :

Comme quoi ce n'est pas la taille qui compte ~

Il tira la langue avant de reprendre un gâteau apéritif et de lui réserver le même sort que le précédent.

En parlant de cela... Pas de la taille ! Je ne suis pas-... je m'enfonce. Bref. Tu as quelqu'un dans ta vie ? Ça aide à passer les moments difficiles.

Il n'allait pas dire copine ou copain, juste "quelqu'un". Quelqu'un, peu importait vraiment s'il y avait une relation romantique ou sexuelle derrière, il ne voulait pas savoir ce genre de détails, ça aidait toujours. Quand bien même le brun était déjà énormément chargé dans sa vie... On tirait toujours du réconfort d'un ami ou d'un membre de la famille, mais avoir quelqu'un était une autre affaire. Bien qu'il ne pouvait pas vraiment savoir. Faith ne se referrait qu'aux divers livres qu'il avait lu. Cela relevait plus du mythe pour lui, à ce niveau là.

Comme tu l'as dit, un 'grand gaillard comme toi', ça ne reste pas seul, hm ?

En effet, je suis en couple...

La tension est à son comble. Quoi ? Il ne comptait tout de même pas s’arrêter là ! Sa curiosité le démangeait trop. Pas bien. Était-ce l’alcool qui faisait déjà son effet ? Il était bien plus réservé d’habitude, et bien moins insolent ! Il se serait tapé sur les doigts. Mais à présent que s’était sorti, il n’allait pas revenir sur ses mots.
Anoki s’était arrêté car la serveuse était de retour avec leurs boissons et le plat de feuilletés. Lorsqu’elle s’éloigna avec leurs verres et leur assiette vides, l’amérindien reprit.

Haussement de sourcil. Le visage du blondinet était un livre ouvert pour n’importe qui. L’étonnement qui se lisait sur ses traits n’aurait échappé à personne, à l’instant. Kanen ? Le Kanen ?
… Oh. Non, à vrai dire, cela expliquait beaucoup de choses. Il n'était pas si étonné que ça finalement. Après tout, il n’y avait bien que Kanen pour passé autant de temps dans le bureau de son employeur. Pendant son travail autant qu’en dehors. Si Faith savait désormais qu’il s’agissait en général des moments où Anoki prenait un peu de temps pour se reposer, rien n’indiquait qu’il n’avait pas trouvé d’autres moyens pour se « détendre » que la sieste... Ahem. Son expression se fit plus songeuse alors qu'il effaçait ses dernières pensées. Il était content pour les deux hommes bien qu’un peu surpris de ne pas l’avoir remarqué plus tôt. Et lui qui pensait qu’ils s’échangeaient des regards purement affectif, d’amis proches à amis proches...  
Il aurait sans doute eut moins de doutes s’il avait s’agit d’une amie et non d’un ami… Il n’avait rien à reprocher à la sexualité de l’amérindien bien sûr et n’avait de toute manière pas son mot à dire sur le sujet ; simplement, les mœurs n’avaient pas beaucoup avancées dernièrement et il fallait dire qu’il était plus simple de suivre les stéréotypes communs que d’imaginer tout et n’importe quoi. Faith en était toujours un peu honteux, lui qui était ouvert sur beaucoup de sujets. Un bon exemple qui prouvait que l’influence humaine n’était pas toujours bonne…

Cependant, alors qu’il était en pleine réflexion, les paroles du brun coupèrent court à son introspection.

De ?...

Il y eut  un petit blanc durant lequel le cerveau du danois arrêta sans doute de fonctionner. Eh ? Pas en couple ? C’était juste une plaisanterie ? Maintenant ? Il n’avait pas à critiquer, lui qui en avait lâché quelques unes plus tôt –ohlala, qu’il avait honte–.
Il était trop crédule ! Kanen et Anoki, pas ensembles. Ils s’entendaient bien, mais pas à ce point là. D’accord, reçut cinq sur cinq. Ne pas croire les patrons même après leur premier verre de tequila. Sa bouche en forme de O se referma pour laisser place à une moue renfrognée. Il l’avait bien eu sur ce coup.

You meanie…

Le blondinet attrapa son propre cocktail et en avala une gorgée. Pas trop sucré, c’était parfait ! Il passa sa langue sur les lèvres pour mieux savourer l’arrière goût légèrement acidulé de la boisson. Pour une fois, il avait fait un choix correct et en était tout fier. Même si l’alcool pur restait bien meilleur à ses yeux plutôt que mélangé avec trois tonnes de jus de fruits et de sirops.

C'est tout nouveau mais oui je suis avec quelqu'un. Il se nomme Greg.

Son sourire revint bien rapidement à la mention du dénommé Greg. Voilà le vrai heureux élu, il l’espérait. Si c’était récent, cela expliquait qu'il n’ait pas encore vu beaucoup de changements s’opérer chez l’amérindien mais espérait qu’il y en ait. Cela le reposerait un peu. Qu’il profite de sa jeunesse autant qu’il le pouvait, va !

Je suis ravi pour toi et Greg ! Pas trop de bêtises, hm ?

Nah, il n’allait pas lui faire une leçon sur les protections durant les rapports, fallait pas abuser. Anoki était grand et savait s’occuper de lui. Et si ce n’était pas le cas, il comptait sur son nouveau compagnon pour le faire. Sinon il viendrait leur botter le cul plus tard, avec l’aide de Kanen et Chenoa, tiens. Ce n’était pas son rôle de toute façon, le brun devait bien avoir fait quelques cours d’anatomie et pouvait se renseigner sur internet sans l’aide de quiconque.

Il n’était pas trop étonné concernant le couple de son patron. Que ce soit un homme ou une femme, qu’est-ce que cela pouvait bien changer ? Tant qu’ils étaient épanouis dans leur relation, alors tant mieux. Il n’avait de toutes façons jamais cru aux rumeurs qui entouraient l’amérindien. Lui, flirter avec les clientes ? C’était le cas de tous les employés qui voulaient s’assurer de leur retour. Et ça s’arrêtait à quelques compliments, jamais beaucoup de contact, encore moins hors de l’établissement. Lui aussi devait brosser les clients dans le sens du poil. Plus discrètement que certains, heureusement.

Quant à la question de se mettre en couple pour le blond… Aha, la bonne blague. Il s’était déjà résolu à ce sujet. Les happy endings, c’était pour les livres d’histoire, comme le disait Jack. Dans la vraie vie, il n’y avait jamais de fin. « And they lived happily ever after » ? Le changelin n’avait pas de place pour ça. Encore moins maintenant qu’il vivait parmi les humains. Trop d’écart d’âge, trop de façades à maintenir, de risques, de pertes… Trop. Juste trop.
Sa mine guillerette faiblie quelques secondes avant qu’elle ne rayonne de plus bel.

Nah, not really my thing. I would be a bother… and I’m stuck to my books anyway !

Ce n’était pas l’envie qui manquait. Il avait sa famille, quelques amis proches qu'il pouvait compter sur les doigts de la main. Mais d’âmes sœurs, il n’y en avait point. Ce n’était pas pareil. Il en avait tellement entendu parlé qu’une partie de lui s’acharnait à y croire. Mais le blondinet était destiné à vivre dans son monde de bouquins et de parchemins poussiéreux.

Changeons de sujet, il allait taquiner son ami encore un peu avant de passer au plat. Il accueillit avec joie une seconde gorgée de son Jungle Juice. Si le nom paraissait un peu enfantin et simpliste, le goût le convenait à ravir.

What about your little sister Chenoa ? Is she doing well in High School ? I’m sure a lot of boys are head over heels for her ~

Si Anoki avait jusque là ressemblé à quelqu’un d’enjoué et de plaisantin, le changement de sujet le refroidit quelque peu. Faith ne pouvait pas dire qu’il ne s’y était pas attendu. L’affection incommensurable de l’amérindien pour sa cadette était connu de tous, surtout au sein du casino. On l’avait même prévenu de nombreuses fois. Dont Kanen. Mentionner Chenoa pouvait autant calmer Anoki qu’il pouvait l’irriter, dépendant du sujet. Avait-il touché une corde sensible ?

La menace à peine contenue dégrisa presque le danois, qui en oublia presque de respirer une seconde. Ah, quand même. A ce point. Il s’en voulait un peu. Le blondinet comprenait parfaitement que le grand brun ne voulait que le bien pour sa petite sœur. Elle n’avait déjà pas une bonne constitution, il ne fallait pas lui rajouter un adolescent folâtre et égoïste sur les bras non plus. Mais c’était quelque chose de naturel, les amourettes de jeunesse. On passait tous par là un moment donné ou un autre. Et on apprenait de ses erreurs. Qu’Anoki lâche un peu la bribe, aussi difficile cela soit-il, afin que la jeune Lawrence profite aussi.

Son employeur se reprit pourtant et le norrois le respecta grandement pour cela. Il fallait laisser l’oisillon voler de ses propres ailes, mais personne n’avait jamais dit que cela serait facile de le laisser partir du nid.

Je sais, c’est toujours dur de voir le temps passer à une vitesse folle. D’accepter les changements… Il faut lui laisser la chance de s’épanouir, mais Chenoa n’en reste pas moins la petite sœur que tu aimes et chérie. Et elle le sera toujours.

L’amour fraternel qu’il décelait dans le regard de son interlocuteur, il le retrouvait parfois dans celui d’Agathe, lorsqu’elle pensait qu’il ne regardait pas. Ou qu’elle s’ouvrait complètement à lui. Sa sœur adorée avait beau être la seule à avoir accepté, et même aidé son départ aux Etats-Unis, elle était sans doute la plus peinée de son absence, avec sa mère. Les deux enfants Søgrene ne s’entendaient pas sur tous les sujets, néanmoins leur relation avait toujours été très fusionnelle. Le peu d’écart d’âge –pour des polymorphes du moins– aidait.
La serveuse revint une fois les apéritifs finis. Le danois n’avait pas de regret. Il avait pu goûter aux meilleurs feuilletés qu’il n’ait jamais mangés et l’alcool n’était pas mal non plus. Il n’hésiterait pas à revenir une prochaine fois, avec ou sans compagnie. Une lotte et un turbot de commandés. Ça, c'était fait.

La question d’Anoki le fit éclater de rire et il ignora les regards curieux de leurs voisins. Oncle, lui ? Quand les poules auraient des dents !

Ma sœur, avec des enfants ? Seigneur non !, rit-il en essuyant une larme au coin de l’œil. Je ne veux même pas savoir ce qu’il adviendrait de la maison !

Cela ne le dérangerait pas de s’occuper d’enfants, mais Agathe ? Femme mariée et mère de plusieurs enfants ? L’image mentale était terriblement amusante. Et totalement improbable. Il ferait une meilleure mère qu’elle –pas qu’il le veuille, diantre–, c’était pour dire.

Elle ferait un professeur digne de ce nom. Si seulement la matière « bêtises » existait.

De toute façon, Agathe et lui étaient trop jeunes ! Un siècle, c’était vieux pour les humains, certes… C’était en tout cas ce que répliquait Agathe depuis maintenant dix ans à chaque fois que sa mère abordait le sujet. Et Faith avait fuit le pays avant qu’elle ne se tourne vers lui pour lui demander « à quand les petits enfants ? » avec des yeux larmoyants.
Il se rappelait la fois où Agathe lui avait proposé de ramener les bébés dragons qu’il gardait à temps partiel, « juste pour voir ». Aaah, la tête de ses parents avait été…Mémorable. C’était l’époque où son père était toujours là. Ils en avaient fait voir des vertes et des pas mûres à ces deux-là. Les quatre cent coups, souvent suggérés par l’aînée d’ailleurs.
Mais gérer des mini-Agathe ? De quoi causer sa perte en moins de deux.

Pour en revenir à Gravity Falls, Faith n’avait pas trop eu l’occasion de rencontrer grand monde depuis la dernière fois qu’il avait vu Toblerone.
Le mystery man avait décidément une mauvaise réputation ! Le gérant… N’était-ce pas de Stanley Pines, dont il parlait ? Faith était curieux de rencontré le propriétaire d’un pareil endroit, mais plus il entendait parler de lui, plus il préférait éviter une quelconque interaction.


Ça sent le vécu, dis-moi ! Je n’ai pas eut l’occasion d’y aller encore, mais j’ai rencontré leur mascotte, Toblerone… En ville. Je comprends pourquoi les affaires marchent si bien, elle est adorable !

La lièvre cornue cas à part, ses rencontres avec Apocrypha et Tristan remontaient à la fête foraine. Celle avec Mabel, s’était déroulé bien avant, juste après son arrivée... Et il ne pouvait pas vraiment parler de celle avec la Jackalope, dont il voulait conserver les circonstances secrètes.

Hormis à la bibliothèque et au casino, je n’ai pas vraiment eu le temps de sympathiser avec les habitants. Les clients sont charmants, mais ça n’en reste pas moins des clients.

Non, Faith n’avait pas peur de s’impliquer. Ou alors, peut-être un peu. Un tout petit peu, mais rien de bien méchant. Il était là pour travailler, point….

… Cette sortie était définitivement une bonne idée.

A vrai dire, depuis la fête foraine, je n'ai pas fait grand chose, hormis travailler.

Le blondinet jeta un regard en coin à Anoki. Il était désormais au courant que Dipper Pines et son groupe d’amis avaient « résolu » le problème du directeur mais que beaucoup de gens avaient perdu leur mémoire après la disparition de la foire. Mais Anoki faisait parti du lot des « autres garçons », comme avait dit la lapine. Est-ce qu’il pourrait être d’une quelconque aide pour sauver Jack ? Il n’en savait rien, mais il considérait l’amérindien comme son ami. Même si un peu d’aide de ferait pas de mal, il ne voulait pas l’impliquer dans une situation qui lui était étrangère et qu’il savait dangereuse.

Faith n’était pas le seul à avoir craqué face à la bouille adorable de la petite princesse. Ou diva, comme l’appelait Anoki. La jackalope avait le don de se faire aimer facilement. Personne ne lui reprocherait son optimisme naturel.

Le pauvre blondinet buta sur le mot «kidnapper». C’était… Un peu fort quand même, non ? Le regard suspicieux qu’il lança à l’amérindien voulait tout dire. Ce n’était pas de sa faute si depuis les événements avec Jack, il se sentait obligé de protéger la lapine. Il en avait fait le serment après tout. Même s’il s’agissait de son employeur et ami, Anoki n’échappait pas à la règle. Enfin, ce dernier ne semblait pas lui vouloir du mal et l’avait sauvée, c’était une bonne chose, non ?
Ses épaules s’affaissèrent quand il comprit qu’il ne s’agissait là que d’une plaisanterie. Ce n’était sûrement pas le même genre de « kidnapper » que lorsque le directeur avait tenté de les emprisonner en utilisant Jack comme un leurre. Anoki était quelqu’un de confiance. Right ?

La suite l’embêta tout de suite plus. En effet, le brun avait parfaitement raison. Ils avaient beau avoir été confrontés à beaucoup de choses durant cette semaine infernale, cela n’en restait pas moins qu’un simple aperçu. Il baissa d’un ton, préférant ne pas se faire entendre par des voisins fouineurs. Les murs avaient des oreilles.

Oui, de terribles événements... Le dernier jour était…Catastrophique. J’ai entendu dire que Dipper Pines et toi aviez résolu le conflit … ? C-comment avez-vous fait ?

Les âmes prisonnières. Les attractions muées de conscience. La mascotte. Ils n’étaient que des pions entre les mains du directeur. Et qui sait quelles autres cartes patientaient dans la manche du marionnettiste alors qu’ils attendaient que le temps passe? Pouvaient-ils faire quoique ce soit contre la volonté du monstre à la tête de la fête ? Sans l’intervention de Jack, Faith serait resté de l’autre côté du miroir.  L’attaquer de front serait une perte de temps. Le danois n’était pas un surhumain. Il était une créature humanoïde pittoresque pouvant se changer en oiseau s’il en avait la force. Que ferait-il face à une abomination de goudron à l’apparence humaine ? Il ne connaissait rien de lui, ni sa nature, ni ses faiblesses, ni même ses points forts ! Si Dipper Pines avait réussi à le battre à son propre jeu, peut-être avaient-ils encore une chance.

Faith tritura la serviette qu’il avait posée sur ses cuisses. Pas de sa faute s’il devait extérioriser son anxiété.

Le directeur s’était de toute façon envolé dans la nature. Pour le moment.

Puis le changelin souriant et insouciant fut définitivement troqué par un blond au regard plein d'inquiétude et d’appréhension. Ses doigts froissèrent le bout de tissu mécaniquement. Jack. Anoki connaissait Jack ! Comment, où, pourquoi, était-ce récent ? Il ravala sa salive avant de dire une bêtise. Rester calme. Il devait rester calme. Ne pas se presser, ne pas être indiscret. Un restaurant bondé n’était pas le meilleur endroit pour parler de fantômes, de malédiction ou de fête foraine hantée.

Y-you know Jack! Wh..When was the last time you saw him? Please, I need to know..!

Est-ce qu’il devait toujours se charger de récupérer les âmes des sots qui avaient malencontreusement acheté des souvenirs ? Ou était-il utilisé pour autre chose ? Le norrois ne voulait pas imaginer les horreurs que le directeur pourrait lui faire.

Faith baissa la tête, hésitant. S’il voulait des informations de la part de l'amérindien, il serait mesquin de ne pas en donner en retour.


Toblerone and I. We saw him a few days ago… He’s in a bad state.